Réforme du Collège : après la préparation, la mise en oeuvre...
Notre rapport au terrain, certes particulier puisque constitué d’établissements qui ont demandés un accompagnement en formation, ne coïncide pas avec la vision souvent pessimiste véhiculée dans les médias. Sans sombrer pour autant dans un optimisme béat, nous avons pu constater que les acteurs perçoivent des éléments favorables et identifient de réelles marges de manœuvre lorsque l’on traite sérieusement des enjeux et finalités du Collège, de ses résultats et que ceux-ci sont mis en perspective avec les propositions de la Réforme.
Au CEPEC, notre parti pris a été celui du refus de la focalisation sur les dimensions purement « dispositif » de la Réforme : AP, EPI, maintien des langues anciennes ou des bilangues pour favoriser une approche plus systémique, conceptuelle et exigeante. Nous avons fait le pari que le traitement de la complexité est un élément majeur de la professionnalisation des enseignants.
Parmi les enjeux « travaillés » collectivement et mis en tensions afin de se fixer des orientations « locales » au niveau de chaque Collège, nous avons régulièrement du débattre de 3 points-clés.
- 1.La place des disciplines dans le cadre de la Scolarité Obligatoire
« Les disciplines sont des véhicules. Ça permet d’aller vers quelque chose. Mais ce n’est pas ça qui est essentiel dans la scolarité obligatoire. La disciplinarisation des élèves n’est pas un objectif majeur de la scolarité obligatoire[2]. » Il n’est pas question de former des spécialistes disciplinaires ni de créer des classes de niveau à partir du choix de telle ou telle langue vivante. Il n’est pas question de se fixer comme objectif de finir son programme disciplinaire en partant du principe que ce qui est dit est acquis. Il est question de faire progresser chacun, de construire un citoyen critique et autonome. Un citoyen qui poursuivra ses études mais pour lequel les apprentissages auront d’autres intérêts que de servir uniquement à l’Ecole. Il y a là un enjeu majeur pour les équipes « disciplinaires » : construire ensemble, en utilisant de nouvelles marges d’autonomie, les parcours permettant aux jeunes de se structurer, de se construire et, condition majeure de cette construction, de faire l’expérience de la réussite en regard du parcours proposé à chacun.
- 2.L’évolution des modalités de rédaction des programmes, la tentative de généralisation de l’approche par compétence au collège
Nous avons beaucoup insisté auprès des équipes pour une lecture approfondie des nouveaux programmes, afin de faire découvrir que ces programmes dits de cycle « créent un nouveau rapport à la prescription… » nécessitent « un travail d’élaboration collective des progressions, des sujets d’études, de l’évaluation et devraient par leurs nouvelles modalités de définition des « attendus de fin de cycle » favoriser l’acquisition des « contenus réellement enseignés » plutôt que « …la réalisation d’un programme annuel pris à la lettre… » et visant « à accroitre la vision globale des équipes sur le long terme du projet d’enseignement définit par le socle CCC… »[3]
Notre expérience concernant l’accompagnement à la mise en œuvre de ces nouveaux programmes, nous permet de préciser que la présentation en “volets”, l’apparition d’un vocabulaire nouveau et mal stabilisé autour des concepts de : “compétences travaillées”, “attendus de fin de cycle”, “compétences et connaissances associées”, “repère de progressivité”, “situations” … ainsi que les différences de traitement de ces concepts entre disciplines a réclamé de la part des équipes “matière” une importante dépense d’énergie. D’abord pour se mettre d’accord sur une définition commune de la nature du travail à effectuer puis pour rendre opératoire ces concepts dans les préparations de chacun.
L’approche par compétence qui organise ces nouveaux programmes, ne doit pas faire oublier la question des contenus (fortement renouvelés par rapport aux programmes de 2008). C’est à ce niveau que nous avons abordé la question des Enseignement Pratiques Interdisciplinaires (EPI). Nous refusons de les voir comme un simple dispositif amenant les enseignants à davantage communiquer. Pour nous les EPI concrétisent l’essentiel de l’approche par compétences qui est au cœur des nouveaux programmes. « Les phénomènes qui se produisent dans la «vraie vie», en dehors de l’institution scolaire, ne s’expliquent pas d’une façon disciplinaire et il est impossible d’agir sur eux d’une manière uniquement disciplinaire. [4]. (…) L’accent mis sur les compétences, de même que l’approche par compétences, exigent un haut degré d’interdisciplinarité parce que les compétences ne sont pas réductibles à un champ disciplinaire en particulier. Elles requièrent la prise en compte simultanée d’informations issues de plus d’un domaine disciplinaire. Les EPI, en lien avec les pratiques sociales de référence, ancrent les apprentissages de l’Ecole dans le réel, rendant plus signifiants les savoirs.
- 3.L’évolution des modalités de suivi des acquis des élèves
Traduisant pour partie les conclusions de la conférence de consensus sur l’évaluation (abandon de la moyenne générale, prise en compte des acquis, choix délibéré d’une évaluation positive, nouvelles modalités de certification ….) il nous est demandé d’être désormais « …plus attentifs aux acquis réels des élèves qu’à leurs seuls résultats chiffrés. Une fois de plus dans une dynamique de changement la question de l’évaluation et des représentations que les enseignants se font de son rôle et de sa nature reste déterminante et peut constituer un frein voire un blocage bien plus fort que le refus de développer tel ou tel EPI.
C’est pour cela que nous avons systématiquement proposé de placer l’organisation de l’Accompagnement Personnalisé (AP) comme suite logique d’une réflexion commune sur les objectifs de formation et sur le sens de l’opération d’évaluation (formative, diagnostique notamment) afin de se sortir des impasses du « Soutien ». C’est une des conditions qui permettra à l’AP d’être ce moment où l’enseignant s’écarte de sa pratique « habituelle » pour proposer d’autres modalités d’apprentissages et ainsi envisager de faire progresser davantage d’élèves.
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Ces points analysés, débattus ont contribué à une meilleure perception des enjeux et à une définition plus collective des objectifs et échéances pour cette année de mise en œuvre. Il nous semble cependant qu’un certain nombre de points de vigilance devront être au coeur du travail de l’année 2016-2017.
Nous en identifions huit qui pourraient permettre aux Conseils Pédagogiques de se focaliser sur une mise en œuvre progressive de leurs choix pédagogiques et éducatifs.
- L’approche par compétences et les progressions disciplinaires par cycle
Les disciplines n’en sont pas toutes au même point en ce qui concerne l’approche par compétences. Pour certaines disciplines (français, histoire-géographie, mathématiques), les pratiques d’enseignement étaient, jusqu’à présent, davantage orientées vers la transmission des savoirs. Les ces nouveaux programmes nécessitent un changement de posture relativement complexe. A cela se rajoute la nécessité de construire une progression pour le cycle 4 non par objets de savoir mais par seuils de performance dans le cadre de parcours « différenciés ».
Pour les disciplines plus habituées à l’enseignement par compétences, la difficulté principale est aussi celle de la construction de la progression pour le cycle 4. La tentation est parfois grande d’une répartition des connaissances par année, mettant ainsi de côté, involontairement, ce que les élèves sont censés savoir faire avec. C’est pourtant le point essentiel de ces nouveaux programmes : ce qui doit être pensé en premier, ce n’est pas ce que l’enseignant doit transmettre mais ce que l’élève doit savoir et pouvoir faire.
Cette constitution d’une progression pour le cycle confronte à plusieurs difficultés :
- Quelle place donner aux savoirs ?
- Comment s’assurer que chaque seuil englobe bien les précédents dans le cadre de parcours ?
- Quelle évaluation pour attester de la maîtrise d’un seuil de performance ?
- Comment gérer le positionnement certificatif vis à vis du socle en fin de 3è et la progression par cycle ?
- Comment nommer les seuils de performance de telle sorte qu’ils soient lisibles par les élèves et leurs familles ?
- Les EPI
De nombreux projets ont été développés et pourtant, l’idée que les EPI amputeraient les heures destinées aux disciplines perdure. Les croisements disciplinaires se sont parfois faits à partir des objets de savoir, avant même que les progressions aient été produites par les équipes « matière ». Cette pratique, laisse transparaître le besoin d’accompagnement pour l’approche par compétences.
Au-delà de ces éléments, il faudra garder à l’esprit :
- Le travail entre collègues et l’anticipation de son organisation.
- La conception des EPI sur les 3 années du cycle et la nécessité de penser une progressivité. Il est en effet impératif de complexifier les situations dans lesquelles seront mis les élèves sans quoi les EPI ne permettront pas de fournir des situations d’apprentissage pertinentes.
- La question de l’évaluation des productions réalisées et notamment des compétences développées par rapport au programme de chacune des disciplines concernées.
- L’AP
On en parle finalement assez peu ou alors dans sa dimension « organisationnelle » : sur quelles heures les effectuer ? quelles matières sont concernées ? doit-on regrouper les élèves par besoins ? pour quels élèves ? … C’est sans doute l’un des points les plus délicats de cette réforme. La réelle nouveauté tient au fait qu’il n’est plus question d’externaliser la gestion de l’hétérogénéité des élèves.. L’objectif est d’abord de varier les modalités d’apprentissage afin de permettre à tous les élèves de progresser.
Au-delà de la question de l’organisation, il convient de s’interroger sur :
- Les objectifs principaux à assigner à ces heures (disciplinaires, transversaux, méthodologiques …) et les choix qui conduisent à les définir ;
- Les activités proposées et la place qu’elles donnent à l’hétérogénéité ;
- L’évaluation des dispositifs mis en oeuvre (notamment les bilans à effectuer sur l’efficacité de ces heures au conseil de classe) ;
- Le suivi de ce qui est travaillé pour chaque classe avec notamment le suivi des compétences dites transversales choisies par l’équipe « classe »
- La lisibilité, pour les élèves, de ce temps « particulier » dans la semaine.
- Les conseils de classe
La quasi disparition du redoublement et la mise en place d’objectifs d’enseignement par cycle conduit nécessairement à repenser le temps du conseil de classe. Faire des bilans généraux à partir de moyennes générales, ne peut conduire qu’à tenter d’expliquer des résultats chiffrés (absence ou non de travail, de motivation, d’attention). On ne nomme pas précisément ce qui est ou non maîtrisé et ce qui demande ou non d’être travaillé différemment.
- Quels objectifs principaux donner à ces temps de réunion ?
- Que conserver de ce qui se fait actuellement ?
- Quelle place donner aux choix à effectuer pour le travail en AP ?
- Quel rôle attribuer à la note, lorsqu’on la conserve ? Peut-on en faire un indicateur de niveau de maîtrise d’une compétence ?
- L’évaluation formative et la différentiation
L’évaluation est sans aucun doute l’autre point délicat de cette réforme. L’approche par compétences invite à interroger davantage la notion de situation d’évaluation. Les évolutions décrites ci-dessus devraient se traduire par un moindre recours à l’évaluation sommative pour se rapprocher d’un plus grand développement de l’évaluation formative.
Il convient donc de réfléchir en équipe à :
- L’évaluation en cours de cycle : évaluer pour faire répéter ou pour percevoir ce que l’élève est capable de réinvestir en autonomie? L’interdisciplinarité, comment l’évaluer ?
- L’évaluation en fin de cycle, et notamment l’évaluation certificative de fin de 3è. En fin de cycle, il faudra positionner les élèves sur les 8 champs correspondant aux 5 domaines du socle. A partir de quelles informations effectuer ce positionnement ? Quelle place donner aux spécificités disciplinaires ? Ce positionnement s’effectue-t-il lors du dernier conseil de classe de 6è et 3è ? Comment gérer les désaccords entre disciplines pour un même domaine ?
A ces différentes problématiques se rajoute celle du suivi des élèves au sein du cycle 4. Une moyenne annuelle apporte peu d’informations, sur ce que l’élève maîtrise ou non en terme de compétence. Quels outils se construire afin de permettre une réelle lisibilité concernant du profil de l’élève et ses évolutions tout au long du cycle ?
- Le suivi des acquis et le livret scolaire unique numérique
Le LSUN modifie considérablement les « habitudes » liées au bulletin scolaire. A partir des progressions de cycle élaborées avec les collègues de la matière, Il va falloir rédiger à chaque période les attentes ou « éléments du programme travaillé » ce qui ne manquera pas de poser :
Des questions d’écriture : à quel niveau de précision les intitulés de compétences doivent ils être écrits par les équipes : une trop grande précision ferait perdre en clarté et pas assez, ce serait trop flou et peu informatif ? avec quel vocabulaire, sachant que le destinataire sera l’élève et la famille ?
Des questions de communication des résultats : note globale ? note moyenne ? pas de note mais un niveau de compétence ? Une note mais construite à partir des niveaux de maîtrise démontrés par l’élève ?
Notre expérience d’accompagnement d’équipes qui travaillent par niveaux de compétences ne nous permet pas d’affirmer la supériorité d’un choix plutôt que d’un autre mais témoigne par contre d’une plus grande cohérence entre objectifs de formation, dispositifs de régulation des apprentissages et évaluation.
- Le nouveau brevet
Les nouvelles épreuves, constitue une évolution intéressante notamment parce que les modalités d’attribution contraignent (au sens positif) à un travail de croisement entre attendus de fin de cycle et objectifs de formation liés au Socle Commun dans la partie « CCF » (Contrôle en Cours de Formation) du Brevet. Avec le LSUN il sera décisif d’aider les équipes à bâtir les outils de suivi et de communication permettant de positionner les élèves vis-à-vis du socle. Il s’agira de développer la capacité des équipes à identifier et mettre en oeuvre les situations permettant d’attester la maîtrise par leurs élèves des compétences du Socle.
Toutefois, il conviendra de ne pas faire de ces moments d’évaluation certificative le seul objectif des années d’apprentissage précédentes, renvoyant ainsi aux élèves l’image d’un collège qui ne sert qu’à préparer aux examens qu’il impose…
Quelle place donc donner au DNB dans les apprentissages du cycle 4 ? Les épreuves dites « zéro » présentées cette année alternant pour nous le positif (traiter un problème complexe en empruntant à plusieurs disciplines) tout en maintenant des types d’épreuves « classiques » qui pourraient vite retrouver un statut « canonique » dans de futures anales et ainsi une place « de choix » dans les objectifs de formation de 3eme.
- La vie scolaire
Avec 26h de cours hebdomadaire sur les 4 années du collègue, pour parfois 32 à 35 h de présence des élèves certains établissements seront dans l’obligation de multiplier les temps d’étude. Quels objectifs donner à ce temps-là ? Quelles conséquences sur les exigences en matière de travail personnel ?
Comment développer l’apprentissage coopératif ? Comment le faire vivre en créant davantage de lien entre les éducateurs et les enseignants ?
Dans le même ordre d’idée il s’agira aussi de se questionner sur la nécessaire implication des professeurs documentalistes (et pas uniquement pour les EPI, ou l’Education aux Médias… ) et, plus généralement, la place du CDI dans les établissements.
Pour l’équipe des formateurs du Département Collège du CEPEC
Laurent BOUCHARD et Pierre LE REUN
[1] Le CEPEC a effectué 180 jours de formation concernant la Réforme du Collège sur l’année 2015-2016.
[2] Michel Lussault, président du Conseil Supérieur des Programmes, 2015.
[3] Préambule aux projets de Programme. Avril 2015
[4] Jacques Tardif, « La construction du savoir dans l’enseignement au collégial ou de l’encyclopédisme à la médiation cognitive dans l’enseignement au collégial »1997.